Bruno Clément-Petremann, vous êtes directeur du centre pénitentiaire Paris La Santé depuis juin 2019. Était-ce votre vocation ?
Non, ce n’était pas une vocation. Mon intérêt pour la profession s’est déclenché très tardivement car je ne connaissais pas cet univers. On a rarement vocation à devenir directeur ou surveillant pénitentiaire. Je me suis retrouvé là par hasard, si l’on peut dire, grâce à des rencontres qui ont forgé en moi de profondes convictions.
J’ai eu la chance d’avoir comme professeur, lors de mon DEA en sciences criminelles à l’université Paris-II Panthéon Assas, l’éminente juriste Mireille Delmas-Marty, une des personnes croisées dans ma vie qui m’a le plus impressionné. J’ai aussi eu la chance de suivre des séminaires sur l’administration pénitentiaire animés par Jean Favard, magistrat et conseiller de l’ancien Garde des Sceaux Robert Badinter, qui fut au cœur des grandes réformes pénitentiaires de 1980-1986. Ce sont ces personnes qui m’ont formé qui m’ont amené à m’intéresser au monde carcéral. J’ai donc passé le concours de directeur des services pénitentiaire en 1987, il y a maintenant quasiment 37 ans. Une autre rencontre forte qui m’a profondément marqué a été celle d’un pasteur protestant, aumônier général des prisons et ancien déporté du camp de concentration de Dora, avec qui j’ai beaucoup discuté de la question de l’enfermement.
Le monde carcéral est un univers qui ne laisse pas indifférent. Si l’on ne peut pas à proprement parler de vocation, il y a néanmoins une réelle dimension humaine dans l’exercice des métiers pénitentiaires, qui est source d’intérêt. Il ne faut pas oublier que le surveillant pénitentiaire est le premier contact que le détenu a, et que, par conséquent, des liens forts se nouent.
Comment mieux faire connaître cet univers ? Selon vous, la journée du 5 avril des métiers et missions pénitentiaires participe-t-elle à attirer les jeunes en recherche de sens pour leur carrière professionnelle ?
Il est encore trop tôt pour dire si cela a concrètement changé quelque chose car cela ne fait que deux ans que cette journée nationale a été mise en place. Mais cela montre que la préoccupation de l’attractivité des métiers de l’administration pénitentiaire est partagée au plus haut niveau, de manière officielle, et c’est ce qui est important. Il faut maintenant espérer que cela soit encore plus médiatisé. Mais nous n’avons pas attendu cette journée pour mettre en place des initiatives.
Nous nous sommes par exemple aperçus de la nécessité de conclure des partenariats avec des lycées professionnels pour faire connaître l’administration pénitentiaire. À ce jour, nous avons noué trois partenariats dans lesquels nous intervenons devant des filières de bac pro « sécurité ». Les lycéens ne connaissent pas du tout l’administration pénitentiaire et n’envisageaient pas de passer le concours de surveillant avant que nous ne le leur présentions. Concernant les étudiants en droit, en revanche, les choses commencent à changer. Quasiment tous les jeunes que j’ai examinés à l’oral du concours de directeur des services pénitentiaires avaient déjà effectué des stages en établissement pénitentiaire. Alors qu’ils aspirent généralement à devenir avocats ou magistrats, les étudiants qui découvrent l’administration pénitentiaire révisent finalement leur jugement.
Quoiqu’il en soit, tout ce qui relève des politiques d’attractivité doit être utilisé car nous connaissons une forte crise du recrutement qui favorise un absentéisme très pénalisant pour les agents et leur qualité de vie au travail.
Vous parlez de qualité de vie au travail. Quels dispositifs mettez-vous en place, notamment en termes de prévention santé ?
La qualité de vie au travail des agents pénitentiaires pâtit de deux problèmes : la surpopulation carcérale endémique et l’absentéisme fort. Nous avons mis en place un protocole en cas d’incident, en lien avec le service de médecine de prévention. Deux psychologues à mi-temps se relaient en permanence. Nous avons également mis en place des journées de cohésion, notamment pour les femmes surveillantes. Sur les 383 surveillants de La Santé, 175 sont des femmes. Malgré l’intensité du quotidien, nous essayons de mettre en œuvre des actions en faveur du bien-être au travail, telles qu’une séance photo professionnelle dans les coursives, un pique-nique au parc Montsouris ou la visite d’un lieu emblématique de Paris. Nous avions également entretenu un partenariat avec une université parisienne pour organiser des séances de massages dans l’heure de midi, très appréciées par le personnel. Nous sommes aussi actuellement en train de planifier un atelier de prévention avec INTÉRIALE d’ici l’automne pour aider nos agents à prendre soin de leur santé.
Toutes les initiatives de prévention sont utiles en soi, même si elles ne touchent que peu de personnes. Ce sont d’ailleurs les plus petites initiatives, les plus proches du terrain, comme celles proposées par Prévention plurielle (la mutuelle sœur d’INTÉRIALE entièrement dédiée à la prévention) sur le lieu de travail, qui sont les plus simples à organiser car nous ne pouvons pas nous permettre de détacher de gros effectifs.
En conclusion, je dirais que la qualité de vie au travail des personnels pénitentiaires s’améliorera surtout lorsque l’on fera évoluer les conditions de détention. L’avenir de la pénitentiaire, pour moi, il est là : dans la bonne articulation entre le milieu fermé et le milieu ouvert. Il faut changer le regard de la population sur les prisons et que le débat public, axé sur la sécurité, ne soit pas au détriment de l’utilité de la peine et de la réinsertion.